extrait des Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand

Publié le par tpe1

 

Mes joies de l'automne :

   

   Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi ; le temps des frimas, en rendant les communications moins faciles, isole les habitants des campagnes : on se sent mieux à l'abri des hommes.

  Un caractère moral s'attache aux scènes de l'automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s'affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui refroidit comme nos amours, ces fleurs qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées.

  Je voyais avec un plaisir indicible le retour de la saison des tempêtes, le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l'étang, et leur perchée à l'entrée de la nuit sur les plus hauts chêne du grand Mail. Lorsque le soir élevait, une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes ou les lais du vent gémissait dans les mousses flétries, j'entrais en pleine possession des sympathies de ma nature. Rencontrais-je quelque laboureur au bout d'un guéret ? Je m'arrêtais pour regarder cet homme germer à l'ombre des épis parmi lesquels il devait être moissonné, et qui, retournant la terre de sa tombe avec le socle de la charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées: le sillon qu'il creusait était un monument destiné à lui survivre. Que faisait à cela mon élégante démone? Par sa magie, elle me transportait au bord du Nil, me montrait la pyramide égyptienne noyée dans le sable, comme le sillon armoricain caché sous la bruyère: Je m'applaudissais d'avoir placé les fables de ma félicité hors du cercle des réalités humaines [...]


 Chateaubriand, comme de nombreux auteurs, se reconnait dans l'automne: "plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi". Il en va de même pour les autres citations en bleu dans le texte. Cette saison est le miroir de son mal être dans une époque de changements incontrolables vers un avenir plutôt flou. C'est l'automne qui traduit le plus ses sentiments: "tourments, désirs d'ailleurs, tristesse, mal-être, mélancolie".

Le champ lexical des oiseaux "cygnes, ramiers, corneilles, hirondelles", évoque cette liberté vers laquelle il tend.

Le mal être romantique entraîne un doute sur soi-même, qui pousse Chateuabriand à s'interroger sur ses origines. Ainsi, les moissons, qui ont lieu en automne, avec tout le champ lexical du travail aux champs, indique, par le "sillon", la recherche dans la terre mère de ses origines. Chateaubriand est en quête de lui même, il traverse un changement de période.

En effet, dans ce texte l'automne est aussi associée à une idée de passage "le passage des cygnes": moment éphémère. C'est aussi le passage d'un régime politique à un autre.

"hors du cercle des réalités humaines": cette citation, ainsi que les autres en rouge, traduisent une incompréhension des autres hommes, un sentiment de ne pas être à sa place, une difficulté à s'adapter. Il débute et finit son texte par l'expression catégorique de son refus de vivre avec les autres hommes.

De fait, le mot "tempête" reflète son paysage intérieur, son état d'esprit tourmenté.

En conclusion l'automne est pour Chateaubriand une idée de passage; elle lui permet aussi de décrire son mal être, fait de mélancolie, d'inadaptation et de doute.


article écrit par Angélique Tardivel

Publié dans L'automne

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